Par Nathalie Maximilien
Dans cette nouvelle mouvance de libération de la parole, il est quasiment quotidien d’entendre une personnalité du monde artistique, sportif, journalistique ou autre parler en toute transparence de « sa dépression ».En février dernier le thème de l’émission Santé sans tabou était : « Santé mentale : des personnalités brisent le tabou » ; au cours de cette émission le quintuple champion du monde de natation Camille Lacourt dévoile son vécu de la dépression ; l’acteur François Cluzet témoigne également de son vécu de la maladie. Le journaliste Nicolas Domorand publie son livre « Intérieur nuit » en mars consacré à « sa bipolarité », maladie qu’il décrit comme une alternance de phases « d’euphorie malsaine »et de phases dépressives. En 2003, Philippe Labro, journaliste, écrivain, réalisateur, homme de médias écrit un ouvrage autobiographique (Tomber sept fois, se relever huit) sur la dépression qu’il a connue alors qu’il était à l’apogée de sa carrière journalistique. Il parle de « tristesse sans âme », de « broyeuse qui vous ronge le ventre ». Dans son ouvrage il décrit sa souffrance, le sentiment de honte de cette maladie et les répercussions sur l’entourage, famille et amis qui s’éloignent peu à peu.
Selon l’OMS la santé mentale est décrite comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». La dépression, quant à elle est décrite comme « un trouble mental courant qui se caractérise par la présence d’une humeur dépressive ou d’une perte durable de la capacité à éprouver du plaisir ou de l’intérêt ». Selon une estimation en 2023, cette pathologie toucherait 3,8% de la population dont 5% d’adultes (4% chez les hommes et 6% chez les femmes). Environ 280 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde ; c’est un problème majeur de santé publique représentant la 2ème cause de handicap dans les pays développés (Rapport OMS 2021). Selon le ministère de la Santé en 2019, 6% des européens souffrent d’un syndrome dépressif et ce taux monte à 11% en France. Dans l’étude réalisée en 2006 « Projections of global mortality and burden of disease from 2002 to 2030 », les universitaires Mathers et Loncar estiment que « la dépression deviendra d’ici 2030 le principal facteur contribuant au fardeau de la maladie dans les pays à revenus élevés ».
D’après Ehrenberg (1998) « la dépression serait une pathologie d’une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline, mais sur la responsabilité et l’initiative ». L’individu distinct et performant n’appartient plus à une collectivité, il doit désormais assurer son succès par sa propre initiative. La dépression se présenterait alors comme une maladie (« mal à dit ») de la responsabilité où domine le sentiment d’insuffisance et de perte de l’estime de soi. Ce serait l’individualisme qui rendrait les personnes plus vulnérables aux évènements stressants reliés à la performance et à la compétitivité.
Les symptômes de la dépression sont le plus souvent des difficultés de concentration, un sentiment de culpabilité excessif, une perte de l’estime de soi, un désespoir face à l’avenir, des troubles du sommeil, des fluctuations de l’appétit ou du poids, une fatigue intense ou perte d’énergie, des idées suicidaires (le suicide est la 4ème cause de décès chez les 15-29ans). Elle est généralement déclenchée par des évènements extérieurs et est souvent multifactorielle : facteurs biologiques avec le dérèglement de la production et de la capture de 3 neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine et noradrénaline) qui jouent un rôle dans la régulation émotionnelle, le contrôle cognitif et la référence à soi. Certains facteurs sont d’ordre génétique et l’environnement social et familial jouent un rôle essentiel dont il faut tenir compte.
Il existe plusieurs échelles d’évaluation de ces symptômes et nous retiendrons les 2 échelles référencées dans l’étude que nous avons choisie sur Pubmed.
Il s’agit de l’échelle BDI (Beck Dépression Inventory) pour évaluer la dépression et l’échelle HADS (Hospital Anxiety and Dépression Scale) pour évaluer l’état anxieux du patient, sachant que l’anxiété fait souvent partie des symptômes de la dépression.
Echelle de Beck (BDI : Beck Dépression Inventory)
A
0 Je ne me sens pas triste
1 Je me sens cafardeux ou triste
2 Je me sens tout le temps cafardeux ou triste et je n’arrive pas à en sortir
3 Je suis si triste et si malheureux que je ne peux pas le supporter
B
0 Je ne suis pas particulièrement découragé ni pessimiste au sujet de l’avenir
1 J’ai un sentiment de découragement au sujet de l’avenir
2 Pour mon avenir, je n’ai aucun motif d’espérer
3 Je sens qu’il n’y a aucun espoir pour mon avenir et que la situation ne peut s’améliorer
C
0 Je n’ai aucun sentiment d’échec de ma vie
1 J’ai l’impression que j’ai échoué dans ma vie plus que la plupart des gens
2 Quand je regarde ma vie passée, tout ce que j’y découvre n’est qu’échecs
3 J’ai un sentiment d’échec complet dans toute ma vie personnelle (dans mes relations avec mes parents, mon mari, ma femme, mes enfants)
D
0 Je ne me sens pas particulièrement insatisfait
1 Je ne sais pas profiter agréablement des circonstances
2 Je ne tire plus aucune satisfaction de quoi que ce soit
3 Je suis mécontent de tout
E
0 Je ne me sens pas coupable
1 Je me sens mauvais ou indigne une bonne partie du temps
2 Je me sens coupable
3 Je me juge très mauvais et j’ai l’impression que je ne vaux rien
F
0 Je ne suis pas déçu par moi-même
1 Je suis déçu par moi-même
2 Je me dégoûte moi-même
3 Je me hais
G
0 Je ne pense pas à me faire du mal
1 Je pense que la mort me libérerait
2 J’ai des plans précis pour me suicider
3 Si je le pouvais, je me tuerais
H
0 Je n’ai pas perdu l’intérêt pour les autres gens
1 Maintenant, je m’intéresse moins aux autres gens qu’autrefois
2 J’ai perdu tout l’intérêt que je portais aux autres gens et j’ai peu de sentiments pour eux
3 J’ai perdu tout intérêt pour les autres et ils m’indiffèrent totalement
I
0 Je suis capable de me décider aussi facilement que de coutume
1 J’essaie de ne pas avoir à prendre de décision
2 J’ai de grandes difficultés à prendre des décisions
3 Je ne suis plus capable de prendre la moindre décision
J
0 Je n’ai pas le sentiment d’être plus laid qu’avant
1 J’ai peur de paraître vieux ou disgracieux
2 J’ai l’impression qu’il y a un changement permanent dans mon apparence physique qui me fait paraître disgracieux
3 J’ai l’impression d’être laid et repoussant
K
0 Je travaille aussi facilement qu’auparavant
1 Il me faut fournir un effort supplémentaire pour commencer à faire quelque chose
2 Il faut que je fasse un très grand effort pour faire quoi que ce soit
3 Je suis incapable de faire le moindre travail
L
0 Je ne suis pas plus fatigué que d’habitude
1 Je suis fatigué plus facilement que d’habitude
2 Faire quoi que ce soit me fatigue
3 Je suis incapable de faire le moindre travail
M
0 Mon appétit est toujours aussi bon
1 Mon appétit n’est pas aussi bon que d’habitude
2 Mon appétit est beaucoup moins bon maintenant
3 Je n’ai plus du tout d’appétit
Résultats :
Le score varie de 0 à 39.
0 à 3 : pas de dépression
4 à 7 : dépression légère
8 à 15 : dépression d’intensité moyenne à modérée
16 et plus : dépression sévère
Références :
Dépression et syndromes anxio-dépressifs : J.D.Guelfi et Coll, Ardix Médical.
Evaluation clinique et psychométrique des états dépressifs : J.Cottraux, Collection Scientifique Survector, 1985.
Échelle HADS : Hospital Anxiety and Depression scale
L’échelle HAD est un instrument qui permet de dépister les troubles anxieux et dépressifs. Elle comporte 14 items cotés de 0 à 3. Sept questions se rapportent à l’anxiété (total A) et sept autres à la dimension dépressive (total D), permettant ainsi l’obtention de deux scores (note maximale de chaque score = 21).
1. Je me sens tendu(e) ou énervé(e)
– La plupart du temps 3
– Souvent 2
– De temps en temps 1
– Jamais 0
2. Je prends plaisir aux mêmes choses qu’autrefois
– Oui, tout autant 0
– Pas autant 1
– Un peu seulement 2
– Presque plus 3
3. J’ai une sensation de peur comme si quelque chose d’horrible allait m’arriver
– Oui, très nettement 3
– Oui, mais ce n’est pas trop grave 2
– Un peu, mais cela ne m’inquiète pas 1
– Pas du tout 0
4. Je ris facilement et vois le bon côté des choses
– Autant que par le passé 0
– Plus autant qu’avant 1
-Vraiment moins qu’avant 2
– Plus du tout 3
5. Je me fais du souci
– Très souvent 3
– Assez souvent 2
– Occasionnellement 1
– Très occasionnellement 0
6. Je suis de bonne humeur
– Jamais 3
– Rarement 2
– Assez souvent 1
– La plupart du temps 0
7. Je peux rester tranquillement assis(e) à ne rien faire et me sentir décontracté(e)
– Oui, quoi qu’il arrive 0
– Oui, en général 1
– Rarement 2
– Jamais 3
8. J’ai l’impression de fonctionner au ralenti
– Presque toujours 3
– Très souvent 2
– Parfois 1
– Jamais 0
9. J’éprouve des sensations de peur et j’ai l’estomac noué
– Jamais 0
– Parfois 1
– Assez souvent 2
– Très souvent 3
10. Je ne m’intéresse plus à mon apparence
– Plus du tout 3
– Je n’y accorde pas autant d’attention que je devrais 2
– Il se peut que je n’y fasse plus autant attention 1
– J’y prête autant d’attention que par le passé 0
11. J’ai la bougeotte et n’arrive pas à tenir en place
– Oui, c’est tout à fait le cas 3
– Un peu 2
– Pas tellement 1
– Pas du tout 0
12. Je me réjouis d’avance à l’idée de faire certaines choses
– Autant qu’avant 0
– Un peu moins qu’avant 1
– Bien moins qu’avant 2
– Presque jamais 3
13. J’éprouve des sensations soudaines de panique
– Vraiment très souvent 3
– Assez souvent 2
– Pas très souvent 1
– Jamais 0
14. Je peux prendre plaisir à un bon livre ou à une bonne émission de radio ou de télévision
– Souvent 0
– Parfois 1
– Rarement 2
– Très rarement
Références :
Zigmond A.S., Snaith R.P. The Hospital Anxiety and Depression Scale. Acta Psychiatr. Scand., 1983, 67, 361-370.
Traduction française : J.F. Lépine.
« L’évaluation clinique standardisée en psychiatrie » sous la direction de J.D. Guelfi, éditions Pierre Fabre. Présentée également dans : Pratiques médicales et thérapeutiques, avril 2000, 2, 31.
L’étude : L’impact de l’exercice Pilates sur les symptômes de dépression chez les patientes : une revue systématique et méta-analyse
Mingxiao Ju, Zhennan Zhang, Xiaojie Tao, Yong Lin, Lili Gao, Wenbing Yu
Medicine (2023) 102 :41.
Le Pilates est récemment devenu une méthode d’exercice de plus en plus populaire auprès des patientes, car il s’agit d’une modalité d’exercice physique attrayante et peu coûteuse. Le Pilates pourrait être bénéfique pour les patientes présentant des symptômes de dépression et d’anxiété. Cependant, aucune tentative de compilation de cette littérature n’a été effectuée à ce jour. Cette revue vise à évaluer systématiquement et à méta-analyser l’efficacité du Pilates chez les patientes présentant des symptômes de dépression et d’anxiété, et à élaborer des recommandations fondées sur des données probantes pour la prescription d’exercices.
Méthodes : Cinq bases de données électroniques (Scopus, MEDLINE/PubMed, Embase, Web of Science et Cochrane Library) ont été systématiquement consultées jusqu’en janvier 2023 pour examiner les essais contrôlés randomisés (ECR) axés sur les effets de la méthode Pilates chez les patientes souffrant de troubles dépressifs et les personnes présentant des niveaux élevés de dépression. Le critère d’évaluation principal était la gravité de la dépression et le critère d’évaluation secondaire était l’anxiété. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Stata version 15.1 avec un intervalle de confiance à 95 % (numéro d’enregistrement : CRD42023426522), et l’échelle PEDRO a été utilisée pour évaluer le risque de biais des ECR.
Données : Les 18 études exploitées se sont déroulées de 2010 à 2022 dans 6 pays différents : 8 en Turquie, 4 au Brésil, 3 en Irlande, 1 en Corée, 1 en Espagne et 1 au Portugal. Le type d’exercices proposé était soit du « Pilates à la maison », soit du « Pilates classique » ou encore un programme « Pilates et aérobic » ; la pratique des exercices se déroulait sur une période de 6 à 16 semaines, à la fréquence de 2 à 3 fois par semaine. La durée d’une séance variait de 45 à 70 minutes avec une majorité à 60 minutes.
Résultats : 18 ECR portant sur 827 patientes ont été inclus. La qualité méthodologique des ECR a été jugée de niveau A dans 4 études, de niveau B dans 13 études et niveau C dans 1 enquête. La méta-analyse a montré des preuves modérées que la pratique du Pilates améliorait significativement la sévérité des symptômes de dépression (DMS = –0,73 ; IC à 95 % : –0,86 à –0,59 ; P < 0,01) et d’anxiété (DMS = –0,62 ; IC à 95 % : –0,79 à –0,46 ; P < 0,01).
Conclusions : Cette méta-analyse a renforcé les preuves que la pratique du Pilates pourrait réduire les symptômes de dépression et d’anxiété chez les patientes et pourrait améliorer leur condition physique ainsi que leurs fonctions corporelles. Le Pilates peut être utilisé comme programme complémentaire potentiel pour améliorer les symptômes de dépression et d’anxiété chez les patientes.
Abréviations : TCC = thérapie cognitivo-comportementale, IC = intervalle de confiance, ES = taille d’effet, EP/PEG = exercice Pilates, ECR= essais contrôlés randomisés, DMS = différences moyennes standardisées.
Mon expérience au studio : Pour toutes les nouvelles inscriptions aux cours de Pilates, je demande aux élèves de remplir un questionnaire dans lequel figure un item sur les « pathologies » passées ou actuelles. J’ai constaté qu’aucune personne n’a mentionné un épisode dépressif. Pourtant au fil des semaines de présence des élèves dans les cours, je peux parfois remarquer certains symptômes de tristesse, de dévalorisation, de manque de confiance, d’anxiété dès que je modifie un exercice…on touche à ce sentiment de « honte » qui incombe à cette maladie. Alors que l’on se déclare volontiers cardiaque ou diabétique, il est rare d’entendre une personne dire « qu’elle est dépressive ». En revanche depuis plusieurs années, j’ai des élèves qui me confient qu’elles souffrent de « burn out » et que c’est lié au travail. Ce terme anglosaxon semble plus facile à utiliser que le mot de dépression. Parmi les témoignages les plus marquants je pense à un élève qui est venu me voir en fin de cours après 6 mois de présence au studio, pour me confier qu’il était en « burn out » au moment où il avait commencé les cours et qu’il avait traversé une période de dépression. Il m’a confié que les cours hebdomadaires de Pilates l’avaient aidé à se sentir mieux et à reprendre confiance en lui.